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La parole dans le travail

L’engagement de l’Afci

La parole dans le travail, voilà un sujet qui revient avec force. Dans un univers en mouvement permanent, la parole a notamment à voir avec la possibilité de bien faire son travail au quotidien, tant il est vrai qu’on ne peut plus travailler sans communiquer. Si la parole au travail est apparemment plus foisonnante et la communication omniprésente, la parole sur le travail est plus lacunaire. Il manque manifestement des temps pour se parler du travail au quotidien et
évoquer les problèmes, les tensions, les dilemmes que rencontrent les salariés dans leur activité. Jean-Marie Charpentier et Guillaume Aper présentent la vision de l’Afci sur la place de la parole dans les organisations.

Un sujet plus que jamais d’actualité

Jean-Marie Charpentier

L’Afci et l’APSE (Association des professionnels en sociologie de l’entreprise) ont organisé le 4 juillet 2013 une rencontre-débat sur le thème « Parole au travail, parole sur le travail». Cette question interpelle aujourd’hui le management qui, trop souvent et pour de multiples raisons, s’est éloigné du travail réel des équipes, mais aussi les Ressources humaines qui sont plus dans les processus que dans les relations ou les communicants tirés vers des préoccupations de marque ou d’image, sans parler des outils de communication qui font parfois plus figure d’écran que de liant. Elle interpelle aussi les représentants du personnel souvent loin eux aussi de la parole directe des salariés. Et puis, la parole des salariés sur leur travail renvoie à la qualité du travail, à l’innovation et en définitive à la compétitivité.Sans parler de la santé au travail.

La rencontre-débat du 4 juillet a connu un vrai succès. Plus de 140 participants en plein mois de juillet. C’était à tout le moins le signe que le sujet « parlait » aux nombreux acteurs, communicants, RH, consultants et universitaires présents ce jour-là. Qu’ils soient professionnels ou universitaires, les différents intervenants ont rappelé l’actualité du sujet. Avec notamment une importante dimension « politique » de la parole dans le travail. Il y a toujours du pouvoir dans la parole: pouvoir de dire, pouvoir d’agir. Dans le travail, on n’est pas dans la conversation de salon. La prise de parole fait sens. Ce qui se dit ou ne se dit pas a des conséquences.

La parole a une dimension « socialisatrice », culturelle, permettant de construire du collectif, du sentiment d’appartenance.

La parole a une dimension « coopérative ». C’est à travers les échanges entre salariés, et entre salariés et managers, que peuvent se régler des problèmes et se dégager des solutions. Se parler pour trouver des solutions au plus près de l’activité, c’est un moyen pour chacun d’avoir prise sur ce qu’il fait. Enfin, la parole a une dimension « socialisatrice », culturelle pourrait-on dire, permettant de construire du collectif, du sentiment d’appartenance. Parler ensemble, c’est faire société dans son équipe, son métier, son entreprise.

Tous ces aspects sont aujourd’hui questionnés dans un univers saturé par les logiques gestionnaires et pris dans des urgences qui font qu’on n’a jamais le temps. L’actualité du sujet de la parole au travail et sur le travail n’en est que plus grande. La récente focalisation sur les risques psycho-sociaux a au moins eu le mérite de mettre l’accent sur le déficit de parole et d’orienter tant les recherches que les pratiques vers de nouveaux espaces de discussion dans le travail. Les modalités d’échange et de discussion évoluent. On n’est plus au temps du participatif des années 80. Outre une dimension parfois cosmétique, les démarches mises en oeuvre à l’époque étaient souvent éloignées du travail réel. D’où leur reflux quasi général dans la décennie suivante.
Il y a besoin aujourd’hui d’inventer de nouveaux espaces de discussion sur le travail

Il y a besoin aujourd’hui d’inventer de nouveaux espaces, de nouvelles modalités sans doute plus arrimés au travail, plus près des salariés. Les réseaux sociaux ou les outils collaboratifs ont leur place, pour autant qu’ils permettent une parole vraie sur l’activité. Il s’agit en tout cas d’une question de communication de première importance. Certes, le management est en première ligne avec les équipes, mais les communicants ont un rôle-clé pour aider à l’éclosion et à la diffusion de ces nouveaux espaces


Entre mutisme et langue de bois, un territoire à (re)conquérir : la parole

Guillaume Aper

Une question : en quoi ce thème de la parole concerne les communicants ? On peut se dire : quelle drôle d’idée! Voilà bien les communicants, quel toupet ils ont. Non contents de copier les journalistes avec, leurs médias, leurs journaux, leurs canaux de communication… ils prétendent en plus s’attaquer désormais à la parole ! Normal pensent certains. Les communicants sont la « voix de son maître » donc la parole, celle des salariés, ils veulent aussi la régenter. D’aucuns peuvent encore se dire, la parole ne concerne pas les communicants, car cela relève des questions de management et de ressources humaines. Bref, en quoi cela nous concerne-t-il ?

Cela nous concerne parce que nous sommes aux premières loges dans nos organisations.
Nous voyons par exemple:
  • Qu’il n’y a jamais eu autant d’information en entreprise, et aussi peu de communication.
  • Il n’y a jamais eu autant d’outils de communication et aussi peu de relations.
  • Il n’y a jamais eu autant de baromètres de climat social et aussi peu d’écoute.
  • Il n’y a jamais eu autant de discours et aussi peu de parole.
  • Il n’y a jamais eu autant d’actions de convivialité et aussi peu de lien social.
  • Il n’y a jamais eu autant de formations en management et aussi peu d’estime pour l’encadrement.
Et le point commun à tout cela, c’est justement la parole. Et donc cela nous regarde, nous les communicants internes.
Trois exemples récents en attestent :
  • L’étude Meanings-Harris Interactive menée en octobre 2012 montre que seuls 15 % des salariés bénéficient d’une prise de parole régulière de leur patron, tandis que 29 % des salariés n’ont jamais entendu leur PDG en direct.
  • L’étude d’Obea-Infraforces pour Michael Page (qui a fait l’objet d’un très long article dans Le Monde en juillet dernier) indique que moins d’un salarié sur deux s’estime écouté et que l’expression directe des salariés a reculé.
  • L’étude de l’Institut de l’entreprise, parue en mars dernier, dresse un lien entre dialogue social et performance économique et propose, notamment, de développer la communication interne.
La parole nous concerne car elle est la grande absente de nos organisations. Elle fait peur. Elle fait peur, car parole = dialogue, et par extension = dialogue social, et le social fait encore plus peur. Faire ou laisser parler les salariés, c’est potentiellement laisser s’exprimer des ennuis, des récriminations. Le spectre de la revendication et du conflit n’est pas très loin. C’est pourquoi l’entreprise la refoule, cette parole. Et comme tout ce qu’on refoule, cela finit par nous rendre malade et cela finit toujours par revenir un jour où un autre. C’est revenu de manière négative avec les risques psychosociaux qui sont le symptôme d’un déficit de parole AU travail et SUR le travail.

Mais heureusement, la parole revient également de manière positive, on le voit chez les membres de l’Afci, sous forme d’actions très concrètes et très volontaristes qui visent à remettre la parole au cœur du réacteur, et pas au rebut.

Nous avons ainsi une entreprise membre de l’Afci qui a créé une direction du dialogue, une autre qui a refondu tout son dispositif de communication interne autour d’un objectif appelé « une entreprise qui se parle », une autre enfin qui a fait en sorte que le management aille rencontrer et écouter près de deux tiers de son effectif, soit près de 100000 salariés

Les organisations sont en train de (re)découvrir la valeur de cette parole car elle permet d’innover et elle permet d’améliorer la performance économique et sociale.

Il n’y a jamais eu autant d’outils de communication et aussi peu de relations.

L’enjeu, pour les organisations et donc pour les communicants, est de réunir les deux conditions matérielles pour donner sa place à cette parole : d’une part, créer des ESPACES (c’est-à-dire des lieux) mais aussi des TEMPS de communication dédiés à la parole, à l’échange.

Des moments où l’on parle de l’entreprise. Des moments où l’on rencontre les dirigeants, pour bénéficier d’une vision partagée. Des moments où l’on co-construit un projet d’entreprise. Des moments où l’on parle de ce qui ne va pas bien et des irritants. Des moments où l’on n’est pas d’accord et où l’on cherche à converger. Des moments où l’on écoute…
Le rôle du communicant interne est d’organiser l’émergence de ces moments. Son devoir est aussi de rééquilibrer le rapport entre l’écrit et l’oral dans les échanges. Les technologies numériques sont formidables et indispensables mais elles génèrent
essentiellement de l’écrit. Les entreprises ne s’y sont pas trompées quand, depuis la crise qui a démarré en 2008, elles ont préservé voire développé les séminaires internes.

Il faut des moments « LIVE », des moments vécus en vrai, où chacun peut exister à côté de son patron ou de son collègue, et partager non pas uniquement des informations mais des émotions, de l’affect.

Enfin, il faut s’attaquer à cette fameuse langue de bois qui génère une représentation fantasmée ou, du moins, décalée de nos organisations en mettant en scène une entreprise, des projets… et des hommes qui n’existent pas dans la réalité perçue par les salariés. À quoi sert en effet de faire émerger cette parole si elle n’est pas traduite fidèlement dans les supports de communication et si elle n’est pas respectée?

Bref, il faut combattre à la fois le mutisme et la langue de bois qui sont les deux faces d’une même médaille : celle d’une organisation dont la communication dysfonctionne.

Mais les choses bougent, le thème de la parole prend de l’ampleur. Le fait que nous ayons été plus de 140 à nous réunir en juillet sur ce thème le prouve. Le club de ceux qui veulent causer ne doit cesser de grossir. Causons ! La cause est juste.

Source : Cahier de l’Afci, 7 février 2014 – Cahier de l’Afci

 

 

 

Anne-Marie de Couvreur
Présidente de Mediameeting

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